Si le film U-571 compte quelques invraisemblances, il a en revanche le mérite de rappeler l’un des épisodes les moins connus de la Seconde Guerre mondiale, celui de la chasse à la machine à chiffrer allemande Énigma. Rappelons que sa capture a permis aux décrypteurs alliés de déchiffrer les communications des U-boote. Dans U-571, si les Américains s’illustrent en grands héros (que voulez-vous, il faut bien vendre le film !), il n’en reste pas moins que la Marine canadienne a, elle aussi, ses heures de gloire dans cette chasse entreprise et ouverte par la Royal Navy. Celle-ci lance le bal avec la capture d’un navire d’observation météorologique et d’un patrouilleur allemand puis, en juin suivant, par l’abordage du U-110 par le destroyer HMS BULLDOG. C’est tout en accomplissant ses missions d’escorte que notre Marine est entraînée dans cette équipée.
Et de un !
C’est au large du Groenland, le 10 septembre 1941, que la Marine canadienne accomplit son premier abordage en règle. Envoyées à la rescousse du convoi SC42, les corvettes NCSM MOOSE JAW et CHAMBLY grenadent le U-501 et le forcent à faire surface. Après avoir été canonné et éperonné par le MOOSE JAW, le submersible désemparé est abordé par les deux navires. Les sous-mariniers ennemis neutralisés, l’équipe d’abordage du CHAMBLY s’introduit dans le U-boot. Malheureusement, elle constate que les appareils et les livres ont été détruits, mais aussi que le sous-marin a été sabordé et qu’il ne va pas tarder à sombrer. C’est de justesse qu’elle parvient à l’évacuer.
Pas assez vite pour éviter la perte du chauffeur W.I. Brown entraîné dans le tourbillon laissé par le naufrage du U-501. Le courageux matelot s’était aventuré seul dans le sous-marin et avait tenté de refermer les valves. Nos marins ont échoué dans leur tentative de s’emparer d’un U-boot et de son précieux matériel secret mais cette victoire vient réchauffer leur cœur de combattant si éprouvé par de longs mois d’entraînement sur le tas. Le U-501 est le premier des 33 sous-marins que notre Marine a coulés durant la Seconde Guerre mondiale.
Le NCSM OAKVILLE éperonne le U-94
Le 28 août 1942, en compagnie de navires de guerre américains et des corvettes NCSM HALIFAX et SNOWBERRY, la corvette NCSM OAKVILLE escorte un convoi au large d’Haïti lorsqu’elle attaque le U-94. Sur le point de s’en prendre au convoi, le submersible a d’abord été repéré et bombardé par un hydravion américain. À coups de grenades, le OAKVILLE le force à faire surface. Après l’avoir canonné, la corvette l’éperonne à deux reprises. Frappé en surface par une charge de profondeur, le sous-marin abandonne le combat. Une équipe d’abordage est dépêchée afin de s’en emparer. Commandés par l’enseigne Lawrence et par le maître Powell, onze de nos matelots sautent sur le pont du U-94 désemparé et se précipitent vers le kiosque criblé d’obus.
Ayant dégagé l’écoutille des cadavres qui la recouvrent, Lawrence et Powell s’y engagent. Ils sont alors surpris par deux Allemands qui surgissent d’une trappe de secours. Après les avoir sommés de retourner à l’intérieur, les Canadiens ouvrent le feu sur les deux hommes qui se ruent dans leur direction. Affolé à l’idée que le U-boot puisse couler d’un moment à l’autre, l’équipage allemand se rend rapidement. Malgré le danger, Lawrence se lance à la recherche de la machine Enigma et des documents. Mais constatant que le U-94 a été sabordé, il revient sur ses pas et doit nager pour rallier l’échelle qui mène au kiosque. Après avoir donné l’ordre d’abandonner le navire, Lawrence saute à l’eau peu de temps avant que le submersible ne sombre. Nos valeureux marins et les 19 survivants allemands sont repêchés par le OAKVILLE et par les destroyer américain USS LEA.
Le U-744 enfin abordé !
Une chasse de 38 heures, 1 500 signaux optiques, 23 attaques, 291 charges de profondeur, tel est le bilan de l’une des plus longues opérations anti-sous-marins de la guerre. Le 5 mai 1944, les escorteurs du convoi HX 280, les destroyers HMS ICARUS, NCSM GATINEAU et CHAUDIÈRE, la frégate NCSM ST. CATHERINES et les corvettes NCSM CHILLIWACK et FENNEL livrent une chasse sans merci au U-744. Impitoyablement traqué et grenadé, le submersible fait surface et est pilonné par des obus de 4 pouces et de 20 mm. Le commandant allemand et quelques matelots sont tués alors qu’ils tentent de mettre leur canon en batterie.
En dépit d’une mer démontée, les NCSM CHILLIWACK et ST. CATHERINES lancent leurs équipes d’abordage à l’assaut du submersible sérieusement endommagé. Arrivée la première, l’équipe du CHILLIWACK, tout en se payant le luxe de hisser le White Enseign (le pavillon blanc de la Marine) sur le kiosque, maîtrise l’équipage ennemi et se dispose à s’emparer du sous-marin. Alors que le U-boot s’enfonce lentement, trois de nos abordeurs, guidés par un marin allemand, mettent la main sur des appareils et des livres de signaux et de codes. Malheureusement pour nos héros, une grosse vague fait chavirer la baleinière du CHILLIWACK et celle du ST.CATHERINES. Tout le précieux butin est ainsi perdu ! Il faut plus d’une heure pour récupérer nos abordeurs et les 39 survivants allemands. Condamné, le U-744 est finalement torpillé par le HMS ICARIUS.
Au cours de ces abordages, la chance n’a pas été du côté de notre Marine mais nous ne pouvons passer sous silence les héroïques tentatives de nos équipages1 . La capture d’un sous-marin et de son matériel du chiffre était un enjeu de taille. Il était ainsi possible d’en savoir plus sur les machines de guerre de l’ennemi et de briser ses codes secrets. Les Alliés étaient alors en mesure de mieux protéger les convois et d’épargner des vies.
1Au cours de la guerre, les Alliés ont abordé avec succès seulement cinq U-boote dont le U-744. De ces cinq, seuls deux ont pu être remorqués jusqu’à une base navale.
Sources :
German, Tony, The sea is at our gates: The History of the Canadian Navy, McClelland & Stewart, Toronto, 1990, 360 pages.
McKee, Fraser and Darlington, Robert, The Canadian Naval Chronicle 1939-1945, Vanwell Publishing Ltd., St. Catherines (Ontario), 1998, 272 pages.
Schull, Joseph, Lointains navires, Edmond Cloutier, Ottawa, 1953, 605 pages.